Réouverture du site de La Grave – Interview de David Madec, conservateur des monuments de Toulouse
David Madec est le nouveau conservateur des monuments de Toulouse. Après avoir occupé le poste de Directeur de la communication chez Christie’s puis à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, il rejoint le Centre des Monuments Nationaux de France, d’abord comme Administrateur du château de Maisons et de la villa Savoye puis comme Administrateur du Panthéon. À l’occasion de l’ouverture au public du site de La Grave, Il évoque pour nous les circonstances de cet événement majeur, puisqu’il s’agit du site le plus iconique de la Ville rose.
« Je suis venu vivre à Toulouse en juin dernier, pour m’occuper de gérer la chapelle des Carmélites, la basilique Saint-Sernin, le mémorial de la gloire et de la Résistance, la chapelle Saint-Joseph de la Grave et le Castelet de la prison Saint-Michel. Toulouse était déjà très présente dans ma vie puisque ma famille réside ici et lorsque je travaillais encore à Paris, j’avais l’habitude de faire la navette entre les deux villes chaque semaine. »
« Le Panthéon est un édifice grandiose, véritable emblème des valeurs républicaines. J’ai eu le plaisir et l’honneur de m’en occuper pendant 5 ans, de 2017 à 2022, période pendant laquelle il a accueilli Simone et Antoine Veil, Maurice Genevoix et Joséphine Baker. »
« Je suis très heureux d’être venu à Toulouse en tant que conservateur des monuments de la ville, notamment pour deux raisons : cela m’a permis de me rapprocher de ma famille, qui réside ici, et c’est aussi une magnifique opportunité de travailler pour une collectivité, ce qui est une première pour moi. Jusqu’à présent, en effet, j’avais occupé des postes au sein de deux établissements d’État : la Cité de l’Architecture et du Patrimoine et le Centre des Monuments Nationaux de France. Or, il faut savoir que les collectivités représentent 80% de la culture en France. C’est donc une aventure enthousiasmante qui commence pour moi dans la Ville rose ! »
« À Toulouse, le patrimoine est partout présent, dans la rue, sur les places, dans les cours des hôtels particuliers, entre le Palais de Justice et La Daurade. C’est un héritage très riche et encore vivant et je souhaite inscrire aussi mon action dans cette perspective : j’ai coutume de dire qu’un patrimoine ne sert à rien si on ne s’en sert pas. Il est primordial de conserver la mémoire d’un bâtiment, mais il est tout aussi important de l’intégrer au paysage urbain actuel, de le rendre accessible au public. Ces monuments sont des lieux déjà repérés par le public, même s’ils restent parfois méconnus, et quand on leur donne un usage, quand on les rend accessibles, ils deviennent alors des lieux-coeurs de ville. »
« C’est le cas de la Chapelle Saint-Joseph de la Grave, coeur battant de l’hôpital de la Grave. Un lieu marqué par un passé sombre d’enfermement, de mise à l’écart des vagabonds, des prostituées, des enfants abandonnés, des malades non traités, mais aussi un lieu de rédemption et de vie, un lieu des origines que les Toulousains associent beaucoup au service de maternité de la Grave, nombre d’entre eux y étant nés. »
« D’un point de vue architectural, la rénovation du site lui a permis de redevenir la première pierre d’un ensemble et d’un quartier particulièrement intéressants. Le patrimoine toulousain est d’une très grande richesse, et c’est une force pour la ville. La chapelle des Carmélites, trop peu connue des habitants, est pourtant un véritable chef-d’oeuvre de la peinture du XVIIème siècle, capable en son temps de rivaliser avec la chapelle Sixtine. »
« Ma mission, c’est d’abord de conserver ces monuments, ce qui implique la connaissance de leur histoire, de leur construction et de leurs évolutions parfois complexes : l’histoire de la basilique Saint-Sernin, par exemple, s’étend sur plus de mille ans. sa construction, entamée au XIIème siècle s’est poursuivie par étapes successives jusqu’à la Révolution française. En 1845, Eugène Viollet-le-Duc, sur recommandation de Prosper Mérimée, est chargé d’une restauration générale. Il est secondé par Jean-Jacques Esquié, architecte toulousain à qui l’on doit aussi l’hôpital Marchand et de la prison Saint-Michel. »
« En 1967, une nouvelle série de restaurations sont engagées. En 1989, des travaux sont entrepris sur les mirandes qui se trouvent sous la toiture de la nef et du transept. Les travaux doivent les « dérestaurer », c’est-à-dire détruire les ouvertures en losanges dessinées par Viollet-le-Duc pour rétablir les formes romanes originales, avec un arc en plein cintre. La vie d’un monument est ainsi une mine inépuisable d’énigmes et d’histoires… »
« Ma seconde mission, c’est de transmettre, conserver pour transmettre. Il est important que les visiteurs puissent se saisir d’un lieu, s’y reconnaître. Ces visiteurs, ce sont les touristes, bien sûr, mais ce sont aussi les habitants de Toulouse et de sa métropole, que la vie quotidienne tient parfois éloignés, autant que des visiteurs étrangers, de certains de ces sites historiques. Il s’agit ici de partage, au sens de la collectivité. Pour intéresser le public de notre époque, il convient d’ancrer ces oeuvres dans notre siècle, de montrer comment leur histoire résonne avec nos problématiques actuelles. Ce travail inclut aussi des considérations d’ordre plus pratique : fréquentation, conditions d’accès, sécurité… ces paramètres font également partie des moyens qui permettent au public de s’en saisir. »
Le projet de la chapelle Saint-Joseph de la Grave
« La chapelle Saint-Joseph de la Grave est un monument paradoxal à plus d’un titre. À la fois un lieu proche du mouroir, et un emblème de la ville cher au coeur des Toulousains, le site aussi le plus photographié chaque année par les touristes, et pourtant, c’est un lieu qui est resté fermé au public jusqu’à cette année. Un emblème de la ville, donc, mais inaccessible. »
« Un site qui était en voie de disparaître. Initiée en 1758, la construction de la chapelle s’est vue interrompue par la Révolution française. À cette époque, l’édifice n’était pas encore coiffé de son célèbre dôme de bois recouvert de cuivre. Construit à l’origine sur pilotis de bois, le site menaçait de s’effondrer, ses fondations étant fragilisées par l’action érosive de la Garonne, elles ont donc été remplacées par du béton. Aujourd’hui, et c’est encore un de ses paradoxes, le monument est à la fois ancien par son histoire et plutôt moderne dans son bâti. Depuis 1978, la Chapelle est classée au titre des monuments historiques. »
« Il y a 8 ans, la mairie de Toulouse, alertée par la présence d’infiltrations d’eau dans le bâtiment, ce qui est toujours un signe de grand danger, a décidé d’intervenir, d’abord pour la sauvegarde du toit, puis pour la restauration de l’ensemble, en incluant la chapelle. »
« Cette restauration a également permis de redécouvrir des chefs-d’oeuvre de décoration effacés ou recouverts par le temps, des peintures, des enduits en faux marbre rose et en faux marbre de Ligurie qui donnent à cet édifice une spécificité belle et réjouissante, à la fois une dimension ostentatoire et une certaine humilité exprimée par l’emploi de matériaux peu coûteux. »
« On retrouve d’ailleurs cet esprit particulier dans les reliquaires à paperolles, confectionnés par les Soeurs de la Charité dont 3 exemplaires sont actuellement exposés dans l’ancienne sacristie au côté d’objets liturgiques et usuels qui illustrent la vie des Patients de l’hôpital. Les paperolles sont une technique de décoration utilisant d’étroites bandelettes, ou frisures de papier, enroulées sur elles-mêmes et fixées sur un support ou dans un cadre. Et là encore il y a un lien avec la modernité puisque cette même technique, par exemple, a été récemment utilisée par Eva Jospin pour créer le décor poétique du défilé Dior au musée Rodin. »
« Le parcours de médiation proposé au public a été conçu pour ne pas perturber la lecture des lieux : des tablettes tactiles ont été intégrées au centre, des panneaux ont été placés à des endroits stratégiques du monument. Sur certaines de ces tablettes le public peut découvrir des scènes de reconstitution jouées par des acteurs, et dont je voudrais souligner notamment la très grande qualité d’écriture des textes qui les accompagnent. À noter d’ailleurs que toute la visite est proposée en plusieurs langues, Français, anglais, espagnol, mais aussi en braille, et accessible aux personnes à mobilité réduite, adaptée à l’accueil des publics scolaires. »
« Autre particularité enfin, qui mérite d’être signalée, les confessionnaux ont été équipés de petits films placés à la place habituellement tenue par le curé confesseur, ce qui les transforment en outils de médiation ludiques et passionnants ! »
« L’ouverture au public a eu lieu en septembre cette année et a connu un beau succès avec une fréquentation mensuelle jusqu’à 18 000 personnes ces trois premiers mois. »
« Le site est au coeur de nombreux projets : en février 2023, le réfectoire de l’hôpital accueillera l’exposition itinérante du Musée de l’Homme, Portraits de France, qui deviendra, le temps de son séjour ici, Portraits de Toulouse. Des portraits réalisés en l’occurrence par le dessinateur Simon Lamouret, et qui présenteront des personnalités toulousaines issues de la diversité et de l’immigration. »
« Un projet de rapprochement avec le musée des Abattoirs est également en cours. Nous travaillons également à la mise en lumières du site et à sa mise en musique avec le Monumental Tour de Michaël Canitrot. »
« Enfin, sensibles aux enjeux environnementaux, au fil de nos échanges culturels et scientifiques en France et à l’international, nous travaillons, avec l’aide de réseaux professionnels, à la mise en place d’approches et de modèles d’exposition décarbonés, peu consommateurs d’énergie. »
Interview de David Madec, Conservateur des monuments de Toulouse, réalisée le 8 décembre 2022. Publication pour la Newsletter du Club des Ambassadeurs de Toulouse Métropole – Décembre 2022. Photos : ©Patrice Nin, ©Joséphine Brueder. Réalisation : Iriade, iriade.fr.